Cauchemar

     Un regard dans le rétroviseur précipita ma chute dans les sombres bas-fonds des regrets où les souvenirs jadis refoulés allaient enfin pouvoir prendre leur revanche sur mon insouciance. Une foule de remords m’y attendait en effet et me reçut avec une furie surhumaine.

     Telle une meute de monstres d’une autre époque, victimes, adversaires et même alliés et complices d’hier, aujourd’hui ligués pour une étrange cause commune, scandaient mon nom dans un vacarme aux confins de l’irréel. Leurs vitupérations me firent tressaillir d’effroi. Une atmosphère infernale régnait dans ce tribunal de fortune où il n’y avait que deux secteurs. Celui de l’accusé -où je me tenais dignement- et en face celui recevant à la fois accusateurs, juges, témoins et simples curieux. Le tout pataugeant dans une épaisse flaque d’eau dans laquelle se noyaient les grosses gouttes de sueur froide qui perlaient sous mes bras.

     Ils vociféraient dans une langue qui m’était jusque-là inconnue. Toutefois s’agissait-il, à n’en point douter, d’un anathème. Et chacun de ces visages déformés par l’expression d’une sourde colère décochait en ma direction un regard tueur qui fit naître en moi une incompréhension d’autant plus grande que l’expression de cette haine était beaucoup plus perceptible chez mes anciens alliés et complices.

   Je souris et entamai une progression en direction de cette foule déchaînée. Non pas par courage, mais juste parce que j’ignorais en réalité ce que je faisais à ce moment-là. A croire que l’effroi que me fit ce spectacle avait fini par dissiper tout bon sens en moi. J’étais perdu ! Ou du moins la mort m’avait enfin trouvé.

                                                              Badiaano